La cousine de Bécassine

Les époux Fouin avaient une bonne, comme tous les époux qui se respectent, une bonne qui, certain jour qu'elle ne savait pas que faire de ses deniers, prit un billet de loterie. Triomphalement, car elle était insolente, elle le mit sous le nez de ses patrons, en disant: Avec cela, un jour, je serai peut-être plus riche que vous ! Or, il arriva, qu'au tirage, son numéro gagna le lot d'un million ... Oui ! ... Les Fouin en demeurèrent stupides. Madame dit à Monsieur: Doucette ne lit pas les journaux. Elle ne nous a pas rendu son tablier. Donc elle ne sait pas qu'elle a gagné le gros lot. Si nous étions malins, nous nous adjugerions le million ! ... - Comment ? - En lui achetant son billet le prix qu'elle l'a payé ! ... Ceci étant pesé, jugé, décidé, les Fouin, afin d'amadouer Doucette, devinrent avec elle aussi doux que les petits agneaux du bon Dieu.

Ils l'entourèrent de prévenances ... et de politesses, lui donnant, à table, les meilleurs morceaux, lui permettant le cinéma tous les soirs, lui épargnant les gros ouvrages. Doucette, un jour, toussa parce qu'elle avait avalé de travers ... Et les Fouin, de simuler une désolation sans pareille ! Ma petite, dirent-ils à leur bonne ravie, vos bronches sont faibles. Il vous faut l'air de la montagne ! ... Le lendemain, ils étaient tous trois sur les bords du Léman ... On acheta une chaise longue pour Doucette. On l'installa dessus. On la dorlota ... Après tant de délicates attentions, jugeant enfin venu le moment venu de parler du fameux billet, Mme Fouin dit à Doucette: A propos, mon enfant, n'avez-vous pas acheté, naguère, un billet de loterie ? - Que si ! Mme Fouin risqua un gros mensonge: Vous savez ... on ne gagne jamais aux tirages ... Vous avez dépensé vingt francs inutilement ... vingt francs qui seraient bien mieux dans votre proche.

Je vous achète ... ce bout de papier ! - Hélas, répondit Doucette ... il y a longtemps que c'est fait ! ... Je l'ai cédé le lendemain de l'achat ! ... Les Fouin faillirent enrager: Ah, petite misérable, vous avez fait cela ! Eh bien, vous allez voir. D'abord, quittez ce fauteuil ... Est-ce là votre place ? ... Allez donc brosser nos habits ! ... Doucette se leva, fit aux Fouin une moqueuse révérence et répondit: Je vous quitte ... Une famille américaine me prend à son service, avec double salaire. Voyant vos prévenances à mon égard, cette famille a jugé que je devais être une perle rare ! Ce fut ainsi que les Fouin, après avoir dépensé beaucoup d'argent, perdirent un million et leur bonne, par-dessus le marché !

Le Gros lot, tiré de L'Album de Lili du 20 novembre 1924
(auteurs et ill. non-ment.)